Au Maroc, pays de tradition du tapis par excellence, existe une très grande diversité de style de tapis : chaque région, chaque communauté se distingue de l'autre par les signes et les codes qui leur sont propres. Ces tapis : Azilal, Beni Ouaraim, Boujad, Hamna, Telsint ou Zemmour pour ne citer que les plus connus, ont acquis depuis longtemps un grande notoriété auprès des collectionneurs du monde entier.
Depuis une cinquantaine d'années s'est développé, en parallèle à cette production communautaire, un style de tapis beaucoup plus personnel : le «Boucharouite». Enfant pauvre du tapis de laine traditionnel, fait de bouts de tissus issus de la récupération de vieux vêtements mis au rebut, il a longtemps été caché et dévalorisé comme symbole de leur indigence par les membres de leur communauté.
La récupération d'effets personnels ajoute à ces tapis une dimension très forte : celle de la transmission de fragments de vie des femmes qui les réalisent. Ces «Boucharouites» sont de véritables archives familiales : d'un coup d'œil, on y retrouve la chemise du grand-père décédé ou la culotte courte de l'enfant aujourd'hui marié. Même sans la reconnaissance de leur communauté, ils restent la fierté de ces femmes.
Bien calées devant leur métier à tisser, telles la harpiste d'un orchestre philharmonique face à son instrument de musique, leurs doigts peuvent alors pincer les cordes tendues de la trame pour y nouer une symphonie de couleurs qui évoquera entre autre la beauté de la nature observée au fil des saisons.
Plus récemment - deux ans à peine - un nouveau type de tapis vient de faire son apparition sur le marché : le «Zindekh». Sa particularité est d’être brodé sur une trame extrêmement économique : un sac en matière plastique de 50 kg de riz ou de farine. La broderie , libérée des contraintes du métier à tisser, offre aux femmes un champ encore plus vaste d’expression artistique que le tissage pour les «Boucharouites».
Ces tapis, «Boucharouites» ou «Zindekh», d'une incroyable créativité, sont en grande majorité réalisés par des femmes d’un certain âge qui disposent de temps libre car dispensées des travaux difficiles au sein de la collectivité. Ils sont très vite devenus un vecteur d'émancipation passif pour ces femmes qui peuvent enfin exprimer leurs émotions et leur vision du monde en toute liberté, avec le recul d'une vie bien remplie, sans contrainte de signes ou de codes communautaires.
Interrogées sur leur inspiration, ces femmes, souvent gênées, parfois amusées, répondent qu'elles n'en connaissent pas l'origine : elles se laissent porter par leur intuition et créent leur tapis de manière spontanée.
Bien qu’il n’y ait pas de connexion entre ces artisans berbères et les artistes contemporains occidentaux, force est de constater que, si différents culturellement, ils se rejoignent et partagent la même sensibilité d'expression. A la découverte de ces tapis, quelques grands noms de l'art contemporain tels Kandinsky, Klee, Klimt, Mondrian, Rothko, de Staël, ou bien d’autres encore viennent alors à l'esprit.
Cette appréciation ne renforce-t-elle pas l'idée de l'universalité de l'Art?
Repérés il y a tout juste quelques années, ces « Boucharouites » et ces «Zindekh», sortis de ces maisons de pisé accrochées au flanc des montagnes de l'Atlas, vont enfin acquérir leur titre de noblesse, révéler leur richesse artistique étonnante et unique, définitivement contemporaine.
Dans la profusion du marché, seuls les rares tapis créés par des femmes ayant un réel don d’artiste se distinguent et peuvent sans conteste accéder au rang d'œuvre d'art.